Initiations
de Quisait
Lundi matin
Le sang coule sur le genou d’Ali, aussi doucement que les larmes sur ses joues. Le petit garçon, trop enjoué, trop agité, est tombé de son poney en voulant s’installer sur la selle. Personne ne s’est moqué, c’est une des règles immuables dans la classe d’Amandine. L’entraide, la solidarité, le respect.
En tenant fermement la main moite du petit garçon, l’enseignante se dirige vers l’encadrant du stage. Jérôme, la cinquantaine. Un grand brun aux allures pas commodes, mais qui se radoucit facilement au contact des plus petits.
Amandine se demande comment il fait pour supporter les cuissardes avec cette chaleur. Il est 10h, le soleil cogne sur le haras, l’ombre est absente de ce côté et à en juger par les gouttes de sueur qui dégoulinent sur ses tempes, Jérôme ne doit pas se sentir si bien que ça dans sa tenue du parfait moniteur.
A y regarder de plus près, il n’y a pas que le soleil qui est responsable des bouffées de chaleur du grand costaud. La tenue légère de la maîtresse du jour ne le laisse pas de marbre.
L’opération « poney-école » est un succès, et depuis le mois de mai, il en a vu défiler des classes, et des enseignants.
Quelques maîtresses ont même exprimé avec une certaine lourdeur une attirance voire un désir pour le responsable du club. Rires exagérés, chevelures tournoyantes, demandes d’aide appuyées. Jérôme a l’habitude. Il sait qu’il est bel homme, et que les profs, sorties de leur classe, s’émoustillent vite. Il imagine que leurs collègues masculins ne proposent pas la même virilité que lui. Les chevaux, l’odeur, les bruits, le contexte nouveau en inspirent plus d’une.
Mais aujourd’hui, c’est un autre type de maîtresse. Elle est calme. Souriante. Douce. Et surtout, elle n’essaie pas de l’attirer à elle. Sa tenue n’est certes pas tellement adaptée à l’activité, une jupe courte en jean, des ballerines et un débardeur blanc, on ne peut pas dire qu’elle a la panoplie de la parfaite cavalière.
Elle s’en est d’ailleurs presque excusé quand elle s’est présentée, en disant qu’elle n’était là que pour la gestion des enfants, et prendre des photos. D’habitude, elles veulent toutes se montrer, épater, étaler un semblant de connaissances. Mais pas elle.
Quand elle s’est approchée de lui, le petit blessé au bout de sa main, il s’est senti rougir. Son regard a été attiré par son débardeur qui commence à s’humidifier sous la chaleur, au niveau de son décolleté. Il remercie intérieurement le soleil de masquer sa gêne.
- Vous pouvez me dire où je peux trouver de quoi le soigner ? C’est pas grand-chose, mais je veux le nettoyer un peu.
- Oui dans le hangar vous trouverez une petite salle avec un lavabo et du matériel de soins. On a tout ce qu’il faut. Mais viens mon bonhomme, je vais m’occuper de toi, on va laisser ta jolie maîtresse avec tes copains.
Au moment où il prononce ces mots, Jérôme s’en mord les doigts, ou plutôt, les joues. Quel con !! C’est sorti tout seul, n’importe quoi !!
Il passe sa main sur sa barbe de trois jours, fronce les sourcils, et attrape la main du petit garçon, l’obligeant à lâcher celle de sa maîtresse.
Le contact, furtif, électrique et presque brutal, surprend Amandine.
- Heu, d’accord. Je vous laisse alors. A tout de suite Ali. Ca va aller. Jérôme va te soigner et tu reviendras dans cinq minutes.
Elle se souvient de son prénom. D’habitude c’est « demande au monsieur ». On ne voit en lui que l’homme qui dresse les chevaux. Elle se souvient de son prénom…
Il sort de sa rêverie, rappelé à l’ordre par les pleurnichements du petit garçon. Ils se dirigent vers la petite salle de soin, et le blessé s’installe sur un lit pliant.
- Elle est gentille ta maîtresse ?
- Oui
- Elle est jolie hein
- Oui
Mais ça va pas ? Qu’est-ce qui lui prend de parler de ça à un môme. Le pauvre serre les dents sous l’effet de l’antiseptique, et lui, il lui parle du physique de son enseignante. Il faut qu’il se ressaisisse et vite. Mais…c’est vrai qu’elle est jolie. Avec ses cheveux bruns qui lui tombent sur les épaules, ses yeux marrons, son sourire si doux et sincère…
Une fois le pansement posé sur la minuscule plaie, Jérôme raccompagne le petit vers le groupe, en colère après lui-même.
- Hey Jérôme, ça va ?
- Ah, salut Alex. Ouais ça va. Je…
- Encore une classe cette semaine ?
- Oui d’ailleurs je dois y aller
- Alors c’est qui cette fois ? une cinquantenaire débridée ?
- Non non c’est, je sais pas, personne. Enfin une personne normale, enfin…
- Ok je vois. Tu n’auras rien de drôle à me raconter alors ?
- Non rien.
Jérôme presse le pas et croise Amandine, qui rentre dans le hangar.
- Je peux aller remplir ma bouteille d’eau ?
- Oui bien sûr c’est tout au fond allez-y.
- Ca va mieux loulou ?
Le petit garçon sourit et trépigne pour rejoindre ses camarades.
En longeant les box, Amandine prend son temps. Il fait beaucoup plus frais ici. Les chevaux qui sont là sont bien chanceux d’ailleurs. Elle prend le temps de les observer. Elle a toujours eu peur de ces immenses bêtes. Mais être si près d’eux la fascine. Elle s’approche d’un cheval blanc, totalement immobile. Le flanc à portée de main, elle se surprend à vouloir le caresser, malgré la peur. Son bras se lève et se dirige vers l’animal.
- Vous voulez de l’aide ?
Amandine sursaute.
- Non non pardon je ne voulais pas…
- Je suis sérieux, est-ce que vous voulez de l’aide pour le caresser ? Vous tremblez…
- Oui…c’est…impressionnant. Je n’ai jamais approché les chevaux et là, si près…
- Vous voulez le toucher ?
Amandine ne sait plus où poser son regard. Sur l’animal, qui lui fait tant perdre ses moyens. Ou sur cet homme sorti de nulle part dont le regard la trouble beaucoup trop.
Devant elle se trouve un jeune homme à l’allure sportive, assez grand, avec un tee shirt noir qui épouse parfaitement son corps.
Sans attendre la réponse de la jeune femme, il se place derrière elle, saisit sa main, et la dirige vers l’animal. Si Amandine tremblait à l’idée de caresser un cheval, c’est désormais le contact avec cet homme qui la tétanise. Et pourtant elle se laisse faire.
Sa main qui prend son poignet, son pouce qui caresse ? non, elle se fait des idées. Le toucher est agréable. La sensation étrange. Le souffle de cet homme dans sa nuque, elle est une marionnette qui se laisse guider.
Sans parler, le jeune homme pose la main d’Amandine, prisonnière dans la sienne, sur l’animal. Dans un geste d’une lenteur exagérée, ils descendent, le long des côtes. Amandine retient sa respiration, alors que celle de son guide arrive dans ses cheveux. Elle en frissonne.
En chuchotant, il lui demande de fermer les yeux. Elle s’exécute. Les sensations se mélangent. Le poil de l’animal, sa chaleur, ses muscles, le relief. Le bras de cet homme, sur le sien. Le corps de cet homme, près du sien. Les odeurs. L’animal, l’homme. En ouvrant les yeux, elle perd l’équilibre.
- Pardon je…
- C’est rien. Bien au contraire. Ca vous a plu ?
Amandine ne sait pas à quoi il fait allusion. Mais peu importe. Oui, c’était bien. Bon même. En se retournant légèrement, elle observe d’avantage celui qui semble aussi calme que l’animal toujours stoïque, qu’elle vient de caresser.
C’est un très bel homme, avec une chevelure dorée, des yeux noisette qui la transpercent et un sourire sincère. Le jean rentré dans des bottines lui donne une allure de cow boy. Une inscription sur le tee shirt attire l’œil de la jeune femme.
- Je suis vétérinaire.
- Oh c’est…super. Moi je suis…
Une voix retentit au loin.
- Maîtreeeeeesse !!!!!
Amandine sourit : - maitresse
Alexis, répond à son sourire : - et bien , maîtresse, vous êtes attendue.
- Oui. Oui je dois les rejoindre. Merci pour…
- Ce fut un plaisir.
Amandine repart dans la direction de l’enclos des poneys. C’est Sofia qui a appelé, elle parvient à diriger sa monture toute seule, et arbore un sourire de fierté immense.
Jérôme la conseille, lui donne des ordres techniques, et la petite fille semble parfaitement dans son élément.
Tout en admirant son élève, Amandine ne peut s’empêcher de repenser à ce qui vient de se passer. Elle est troublée mais doit vite se ressaisir pour s’occuper de sa classe.
C’est la première fois qu’elle participe à cette semaine d’initiation. Une de ses collègues lui avait conseillé de s’inscrire et elle a été retenue, pour la plus grande joie de ses loulous comme elle les appelle. Aucun d’eux n’a eu la chance de pratiquer cette activité d’ordinaire réservée à un public plutôt aisé. C’est donc là une opportunité incroyable, et pour elle-même de lutter contre sa peur des chevaux. Même si les enfants ne vont monter que des poneys, ils vont aussi approcher les autres animaux.
Sofia est très douée et Jérôme semble déjà fier qu’une petite fille se débrouille aussi bien. Il l’encourage, dirige à peine l’animal tant Sofia maitrise déjà la direction. Amandine se rapproche pour prendre des photos. Dans son téléphone, elle scrute le sourire de son élève.
Quoi de plus beau que de lire la fierté de la réussite sur un visage d’enfant, qui plus est un enfant qui manque cruellement de confiance. Sofia n’est pas une « bonne » élève. Mais à cet instant, c’est elle la meilleure. Elle réussit quelque chose, elle se sent forte, ses camarades la regardent et l’applaudissent mais Jérôme leur demande de se calmer.
Evidemment ils n’obéissent pas et il se dirige vers Amandine.
- J’ai besoin de votre aide…il faut que les enfants cessent de crier, ils vont faire peur aux poneys et ça peut être dangereux.
- D’accord pas de problème, excusez-les ils sont tellement contents d’être là.
Amandine passe sous la barrière pour faire face à son groupe d’élèves. En un regard et un doigt levé, les chenapans se taisent. Jérôme la regarde, tout en maintenant les rênes. Il se dit qu’ils font un peu le même métier finalement. Elle dresse des gamins aussi facilement que lui dresse les chevaux. Ca le fait rire.
Amandine se retourne pour continuer ses prises de vue. Mais en levant son téléphone vers Sofia et l’animal, c’est le sourire de Jérôme qui la percute. Il semble si doux, si détendu, et si rustre en même temps.
- Attention il risque de vous demander un droit à l’image !
Amandine sursaute. Encore lui. C’est son habitude d’arriver de nulle part ou… ?
- Pardon ?
- Vous prenez Jérôme en photo sans son accord ?
- Hein ? non non je prends Sofia et…
- Je plaisante, je ne lui dirai rien soyez tranquille.
Amandine se sent rougir. Le jeune homme lui adresse un sourire accompagné d’un clin d’œil.
- Je ne crois pas m’être présenté tout à l’heure, je m’appelle Alexis.
- Moi c’est Amandine
- Enchanté Amandine. Vous êtes là pour la semaine c’est bien ça ?
- Oui c’est ça. J’ai la chance d’avoir été choisie pour participer.
- C’est nous qui avons de la chance, une maitresse aussi agréable à regarder, merci « poney-école » !
Amandine ne répond pas… Il a dit quoi là ?
- On va être amené à se revoir du coup. Je passe tous les jours, surtout quand il y a des enfants, ils peuvent être maladroits parfois.
- J’espère que les miens ne feront rien qui pourrait nuire aux poneys. Ils sont prévenus…le moindre souci et on rentre à l’école…
- Et bien ! vous êtes dure Maitresse !
- Les règles sont les règles.
- Ce serait vraiment dommage si vous partiez. Vous ne pourriez plus mater mon collègue dans votre téléphone.
Alexis rit à nouveau et part en direction de sa camionnette. Amandine reste muette une fois de plus. Il est spécial ce type. Sans gêne et assez direct. Alors que tout à l’heure il semblait plutôt calme et doux.
Les enfants sont appelés par Jérôme pour l’aider à ramener les poneys dans les box. Chacun écoute attentivement où se placer. Amandine écoute aussi. Elle doit pouvoir corriger s’ils font des erreurs. Tout le groupe se met en place et Jérôme ouvre les barrières de l’enclos. C’est Youssef qui passe en tête, tout souriant d’avoir eu la première place. Les autres suivent en silence, et les poneys dociles se laissent mener.
Amandine est assez impressionnée du comportement de ses élèves, qui peuvent être extrêmement turbulents.
- C’est magique les relations avec les bêtes.
- Je vois ça oui. Ca canalise mes petites terreurs.
- Vous verrez, à la fin de la semaine ils auront fait des progrès impressionnants.
- Ils sont bien partis pour, je dois reconnaître. Grâce à votre savoir-faire, et votre patience.
Jérôme et Amandine suivent les enfants tout en discutant technique et progrès.
Après avoir raccompagné chaque animal dans son box, la classe s’installe pour déjeuner. Ce sera une semaine de pique-nique, ce qui excite encore plus les enfants. Le temps du repas, deux jeunes palefrenières viennent prêter main forte à Amandine. Elles auront en charge de proposer des activités aux enfants durant la semaine, pendant le temps de la pause de la maitresse, et aussi de les initier aux soins des animaux.
Sarah et Clothilde se présentent à la classe et tout le monde commence à manger dans une gentille excitation.
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