
Angéline L.
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« Eh, regardez, voilà la grosse avec ses chaussettes vertes ! Regardez ! »
Les enfants se pressèrent contre la grille : certains tentant d’attraper au passage le sac à dos de la fillette, d’autres esquissant des grimaces de singes à son abord. C’était un matin comme les autres. Le brouhaha aux abords de l’école étouffait les cris silencieux de la petite fille.
« Et ta mère, c’est une baleine, dis ?! »
Les mots pleuvaient sur elle, comme autant de pierres. Il fallait les ignorer, coûte que coûte. C’est ce que Papa disait toujours.
« De toute façon, c’est tous des cons là-dedans. »
Cons, c’était un gros mot, Lila le savait très bien. Et les gros mots, c’est pas très sympa. Mais apparemment, les adultes adoraient les employer dès qu’ils en avaient l’occasion. Ou même juste comme ça. Comme Maman quand elle faisait tomber de la farine sur le sol et lâchait un vif « Putain ! » en soupirant. Puis elle se corrigeait aussitôt devant la mine désemparée de Lila, la rassurait à coups de : « Mais tu sais, des fois, les grandes personnes, elles disent des bêtises, et parfois… Des gros mots leur échappent, tu comprends ? Faut pas dire ces mots-là, hein ? ».
Ce à quoi Lila répondait « ça va, Maman, je suis plus un bébé. ».
Non, elle n’était plus un bébé. A presque onze ans (dans six mois et deux jours très exactement), Lila se considérait comme une « demi-adulte » : et puis bientôt, elle rentrerait dans cette période que tous les parents avaient l’air de redouter comme la varicelle, l’adolescence. Un mot un peu compliqué pour dire qu’en gros, Lila verrait bientôt son corps se transformer et des petits boutons grignoter son visage. La fillette espérait que ces transformations apporteraient avec elles le corps dont elle rêvait, celui qui ne permettrait plus aux autres enfants de la traiter de vache.
Mais elle était encore loin, l’adolescence. Alors, il fallait continuer à composer tous les matins avec les rires moqueurs de ses congénères, ignorer Sarah qui lui tirait les cheveux, oublier Thomas qui s’amusait à coller des chewing-gums sous sa table, ne pas répondre à Enzo qui imitait le bruit d’une truie lorsqu’elle passait devant lui.
« Qu’est-ce qui se passe, t’as avalé ta langue, Lila-nuche ?! »
La fillette ne fixait qu’un seul point : la porte de sa classe, implorant le chant libérateur de la sonnerie. Comme tous les matins à 8h12, après avoir attendu que la voiture de Maman tourne au coin de la rue, Lila se précipitait à la boulangerie sur le trottoir d’en face, où elle trouvait refuge jusqu’à 8h29. Elle n’avait plus ensuite qu’à se lancer dans la fosse aux lions pendant l’ultime minute qui la séparait de sa délivrance temporaire.
La boulangère, Madame Brigitte, avait su rassurer la fillette, lui assurant qu’elle pourrait toujours compter sur elle, et bien sûr avec un petit pain au chocolat pour sécher ses larmes. Lila avait refusé qu’elle prévienne ses parents : il était évident que Maman ne comprendrait pas. Madame Brigitte était très gentille : elle veillait à ce que les autres enfants ne viennent pas l’importuner dans sa boulangerie. C’est qu’elle avait connu ça, Madame Brigitte.
Cette dernière avait confié à la fillette son passé de petite fille harcelée par ses camarades parce que ses parents vivaient au fond de l’impasse des Rosiers, celle qui mène à la déchetterie, dans un tout petit appartement, « pas plus grand qu’une boîte à chaussures » où elle, ses cinq frères et sœurs et ses parents vivaient tant bien que mal. En bas de chez eux, il y avait ces femmes, qui restaient adossées au mur, parfois toute la journée. Quelquefois, des hommes s’arrêtaient pour discuter avec elles, et la petite Brigitte les voyait ensuite partir ensemble. Ils devaient sûrement aller se promener.
Alors, pour elle aussi, l’école représentait un calvaire. Les enfants faisaient une ronde autour d’elle dans la cour de récréation en entonnant le même refrain : « La mère de Brigitte est une putain ! La mère de Brigitte est une putain ! ». Putain, c’était un mot très sale. Et très moche.
Lila aussi le savait. Mais elle ne comprenait pas pourquoi aujourd’hui, tous les adultes mettaient des « putain ! » dans toutes leurs phrases.
« Putain de bagnole ! » disait Papa en rentrant du travail, généralement après être allé à la pompe à essence.
« Putain de sac à main ! » criait Maman lorsqu’elle était à sa recherche, envoyant voltiger à travers la maison bibelots en tous genres et vêtements.
Décidément, Madame Brigitte et Lila partageaient bien des points communs.
Et ce matin encore, Madame Brigitte avait su user de son sourire chaleureux pour protéger la petite, elle qui avait aussi connu les affres de la violence et de la honte.
« Tu sais, tu devrais tout de même en parler à tes parents, lui avait-elle dit tout en lui apportant son croissant préféré, celui avec des amandes sur le dessus et qui fondait dans la bouche lorsqu’on mordait dedans. »
Lila avait acquiescé silencieusement. Elle avait contemplé l’entrée de l’école, les yeux figés sur l’horloge principale. La grande aiguille aurait bientôt rejoint la barre du bas, sonnant avec elle le début d’une nouvelle journée en enfer. Elle avait soupiré. Ses parents ne comprendraient pas. Ils étaient bien trop occupés avec leurs problèmes de grands qui leur prenaient tout leur temps. Surtout depuis que Maman avait trouvé un message bizarre dans le portable de Papa.
Lila se souvenait de sa mère, assise sur le bord du lit, le visage déformé par la rage. Elle se souvenait aussi du regard que Maman lui avait lancé, ses yeux rougis et ses joues humides. Non, décidément, ils ne comprendraient pas.
La sonnerie avait retenti, arrachant Lila de ses rêveries. Il était temps de rentrer dans l’arène.
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La nuit semblait si paisible, ce soir-là. La lune promenait son regard blafard sur les plaines endormies, enveloppant d’un voile d’argent les arbres et les toits. Le calme, si profond. La douceur d’un soir d’été… C’était lui qui conduisait ce jour-là. La fête chez les Beauregard avait battu son plein. Comme toujours, Hélène Beauregard en avait profité pour vanter ses multiples exploits à ses invités, faussement sidérés. Rien n’était laissé au hasard chez les Beauregard ; de la petite cuillère au parfum du papier toilette, la bourgeoise demeure s’était parée de ses plus beaux atours pour épater ses hôtes.
Pierre et Alice Colombe avaient une sainte horreur de ces dîners-là. C’était à contrecœur qu’ils avaient cédé aux innombrables relances d’Henri, qui voulait absolument leur faire découvrir leur tout dernier joujou : un service barbecue flambant neuf, avec tout plein de fonctionnalités inutiles, comme celle d’envoyer un texto à son propriétaire pour le prévenir que les saucisses étaient cuites.
Henri était le patron de Pierre. Heureux propriétaire d’une entreprise de serrures florissante, il en profitait à l’occasion pour s’offrir un ou deux caprices qu’il s’empressait d’exhiber fièrement le lundi matin, lors de la réunion hebdomadaire. Le dernier en date (avant le cuiseur de saucisses intelligent) était la superbe Ferrari GTC 4 Lusso ; un monstre rouge vif qu’Henri aimait garer tous les matins devant la porte d’entrée des employés, faisant au passage vrombir le moteur douze cylindres.
Henri et Pierre s’étaient rencontrés au lycée. L’un était fils du maire de la commune, le second n’osa jamais lui avouer que sa mère devait faire le ménage chez lui. Henri Beauregard était destiné à une carrière brillante, appuyée par les soutiens de son père. Pierre avait pour lui le goût du mérite et l’envie de bien faire. Les deux jeunes hommes s’étaient donc fréquentés un peu par hasard, sans savoir si c’était par un besoin irrépressible de popularité pour l’un, ou la peur de la solitude pour l’autre.
Puis Pierre avait rencontré Alice. Elle était assise là, sur le banc de la cour, lisant et relisant toujours le même livre ; le Songe d’une Nuit d’Eté de Shakespeare. Ses yeux dévoraient les lignes avec la même avidité, la même urgence d’absorber les mots, de les faire siens. Ses longs cheveux noirs encadraient un visage fin, aux traits doux et aux lèvres tendres. Après plusieurs mois d’observation sous-marine, il avait enfin osé l’aborder, plantant un regard timide dans le vert de ses yeux. Elle avait d’abord souri, puis avait accepté de l’épouser. Ils étaient aujourd’hui propriétaires d’une jolie maison sur les bords de l’étang, et parents d’une malicieuse petite Johanna.
Ce soir-là, Pierre et Alice avaient donc accepté de se rendre une nouvelle fois au baptême de la nouvelle lubie luxueuse des Beauregard. Hélène avait accueilli Alice avec son grand sourire rouge Chanel et sa robe Dior, identique à celle que Jackie Kennedy portait en 1962, disait-elle. Elle lui avait ensuite raconté combien il avait été difficile pour elle de trouver les escarpins assortis.
« J’ai dû appeler mon ami Tom, mais si Tom, vous le connaissez, il était à la Fashion Week de New York la semaine dernière. Il fait un travail for-mi-dable ! Vous devriez voir sa nouvelle collection, elle est absolument fabuleuse. Il faut qu’on organise un brunch un de ces jours, il pourra peut-être vous conseiller une de ces pièces à l’occasion ! Oh oui, vous seriez splendide dans de la soie rose ! »
Elle l’avait alors entraînée dans sa pièce favorite : la cuisine, où elle aimait vanter les talents de sa cuisinière, Maria, qui confectionnait à merveille toutes les petites douceurs qu’ils allaient déguster ce soir. Maria avait esquissé un petit sourire gêné, avant de se replonger dans la préparation des petits toasts de caviar, fraîchement importé de Russie, cadeau d’un important client de son mari. Pendant ce temps-là, Henri, tout en lissant sa moustache brune avec l’arrogance du paon en pleine séduction, avait tapoté l’épaule de Pierre, lui assurant une prochaine promotion, ce qui paierait sans doute une nouvelle poupée à Johanna.
La petite quant à elle, appréciait la soirée d’une autre façon. Elle riait aux éclats, amusée par les bêtises de la fille cadette des Beauregard, Paula, qui avait une attitude aux antipodes de celle de ses parents, toute casse-cou qu’elle était. Les deux fillettes avaient le même âge et partageaient régulièrement des moments de franche complicité, défiant parfois l’autorité d’Hélène en revêtant les beaux foulards et les jolies sandales vernies de cette dernière. Elles avaient plus d’une fois fait enrager Caroline, la baby-sitter de la famille, qui devait alors les chercher dans toute la maison après qu’elles aient barbouillé de rouge à lèvres le miroir de la salle des bains. Elles s’aimaient d’une belle et pure amitié, bien loin des intérêts et des jalousies. Dans le grand jardin de la propriété, elles s’inventaient souvent une vie trépidante, remplie de monstres effrayants à terrasser et de beaux princes à embrasser. Elles étaient tantôt princesses en détresse, tantôt fées bienveillantes du royaume, qui repoussaient au loin les menaces du quotidien, avec leur baguette magique et leurs ailes dorées.
Ce soir-là n’avait pas fait exception, et après avoir une ultime fois lancé un mauvais sort au dragon de la forêt enchantée, Johanna avait manifesté les premiers signes de fatigue. Elle s’en était allée informer ses parents, qui profitèrent de l’occasion pour mettre un terme à la soirée. C’était donc avec soulagement qu’ils s’étaient empressés de monter dans la voiture, adressant au passage un dernier au revoir aux Beauregard d’un petit signe de la main.
La nuit était belle ce soir-là. La route brillait, étendant son bitume au loin par-delà les collines. Johanna s’était paisiblement endormie, terrassée par les incroyables aventures qu’elle venait de vivre avec son amie Paula. Alice pensait à sa vie, peut-être un peu différente de ce qu’elle avait imaginé. Elle aurait pu être cette autre femme, avec ses grands cartons à dessin sous le bras, baladant d’exposition en exposition ses fabuleuses toiles, ô combien renommées dans le milieu. Elle avait finalement atterri dans un petit cabinet de médecine, où elle assurait sans grande conviction ses missions de secrétaire. Mais même si ses journées semblaient ternes, elle puisait sa force dans les grands sourires de sa fille et les tendresses parfois maladroites de son époux. Elle se contentait donc de son humble existence, attrapant quelquefois son pinceau pour dessiner ses regrets.
Ce soir-là, elle aurait voulu être cette autre femme. Juste pour ne pas se sentir humiliée par les richesses dégoulinantes des gens qui l’entouraient. Mais elle chassa vite cette idée lorsque Pierre vint poser sa main sur la sienne en lui adressant un sourire rassurant. Oui, rien ne valait le bonheur que représentaient ces moments. Elle était riche à sa façon, riche d’amour. Elle entreprit à son tour de fermer les yeux, savourant les derniers kilomètres qui les séparaient encore de leur petit nid familial.
Mais elle n’eut pas le temps de les fermer plus d’une minute. Elle fut brusquement tirée de son demi-sommeil par le hurlement de son mari, qui donna un violent coup de volant vers la gauche, évitant un obstacle invisible. C’était trop tard. Pierre avait perdu le contrôle de la situation. La voiture fit une embardée dans le fossé, avant de rebondir du talus contre l’arbre de la voie d’à côté. Le choc fut bref et presque sans bruit. La tôle du capot épousa les contours du tronc, tandis que les branches épaisses vinrent briser les vitres et s’enrouler autour des occupants. Les coussins d’air s’étaient déclenchés, vaporisant une fumée blanchâtre au-dessus de la carcasse et engloutissant les ombres désarticulées des passagers.
Dehors, la nuit était belle. Belle et silencieuse.
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" J'en peux plus... Je meurs de faim... Il reste de l'eau ?
- Non, et contente-toi d'avancer.
- Mais c'est ce qu'on fait depuis ce matin ! Tu veux que je meurs d'hypoglycémie ?"
Je me retournai avec violence pour lui faire face.
" Est-ce que tu vois une ville ou un abri quelqconque susceptible d'abriter de l'eau ou de la nourriture ? Alors arrête, je ne sais pas à quelle distance nous sommes du prochain village Et que je sache on ne va pas mourir de faim, on est partis hier soir et... "
Je marquai une pause, repensant aux évènements de la veille.
" Et tu as mangé, non ?"
Il se tut, puis se mit à ronchonner.
" Du pain rassis, tu parles que c'est nourrissant... "
L'aube dessinait des reflets dorés sur sa peau blanchâtre, et ses yeux boudeurs se levèrent pour observer le lever du soleil. Son regard noisette suppliait je ne sais quelle divinité de lui apporter un peu de nourriture. J'étais fascinée par la force qu'il montrait face aux récents évènements. Mais je ne pouvais pas l'empêcher d'avoir faim tous les quarts d'heure : il était en pleine croissance.
" Ton frère aurait sûrement apprécié que tu arrêtes de te plaindre... "
Il ne répondit pas, et ma voix se brisa dans l'ombre. Il baissa la tête, ses mèches brunes retombèrent sur son visage, aussitôt écartées par le geste habituel de leur propriétaire qui les repoussait d'un revers de la main. Où irait-il maintenant ? Il ne resterait pas avec moi éternellement, et, bien que ce soit égoïste de ma part, je ne supporterais pas d'avoir la copie conforme de son frère en face de moi. J'avais bien trop mal. Etais-ce cela un deuil ? Pleurer un être cher, parfois si précieux que la douleur en était insoutenable ? Mon cas était tout de même particulier. Devrais-je tout raconter à la police ou resterais-je muette face aux différentes interrogations que les gens se poseraient ? Impossible à dire, impossible à savoir. Seule l'avenir me le dira. Lui aurait pu me dire ce que j'aurais dû faire . Je balayais aussitôt le visage qui se dessinait dans ma mémoire, incapable de résister au choc que cela causerait. Mon coeur s'emballa avant de retrouver un rythme normal. Il fallait que j'arrête d'y penser. Ma raison le voulait, mais pas moi. Je désirais garder avec moi les derniers moments que j'avais passés en sa compagnie, bien que peu agréables, ainsi que son regard, gravé au fond de mon âme, au plus profond de ma chair. Je posai ma main sur mon front, épongeant la sueur naissante, rafraîchissant mes idées au passage.
Combien de temps encore ? Les paysages défilaient lentement, à la vitesse de nos pas épuisés de marcher depuis la veille. Je détestais la campagne. Je préférais ma ville et sa population stressée mais rassurante. J'avais besoin d'un peu d'humanité. J'étais toute seule depuis des jours, et mon caractère sociable commençait à s'effriter, bien obligé de s'adapter à la situation. Où étions-nous ? Difficile à déterminer. J'avais l'impression que les paysages étaient tous les mêmes, que je rencontrais les mêmes arbres, les mêmes prairies vertes. Tournions-nous en rond ou était-ce le fruit de mon imagination ? Sûrement le résultat d'une nuit blanche et agitée. En tout cas, lui n'avait pas l'air perturbé. Il regardait le sol avec une moue boudeuse, s'arrangeant pour me faire savoir qu'il en avait assez. Il me jetait parfois des regards en biais, puis retournait à son observation des cailloux se dressant sur le sentier aussitôt qu'il s'apercevait que je le regardais également. Il lui ressemblait tant. Encore quelques années et j'aurais devant moi un homme. A ce moment-là, il me serait impossible de soutenir son regard, sachant que ses yeux brillaient de la même lueur que les siens . Mais peut-être aurais-je définitevement fait mon deuil ? Nul ne le saurait.
" Attends... Je suis d'accord, on est partis que depuis hier soir, mais là on mérite une pause, non ?"
Il osait enfin lever les yeux vers moi, et je sus qu'il ne m'en voulait pas de l'avoir réprimandé.
" Si tu veux."
A ces mots, il s'affala sur le sol, et allongea ses jambes engourdies sur le sable caillouteux. Je m'assis en face de lui, et nous nous contentâmes durant quelques instants de nous comtempler mutuellement.
"Tu l'aimais, n'est-ce pas ?
- Plus que tu ne le crois, répondis-je en baissant les yeux.
- Tu lui en veux ?
- Je ne sais pas.
- Il ne t'aurait jamais fait de mal.
- Peut-être.
- Qu'est-ce que tu lui dirais s'il était encore là ?
- Je n'en sais rien... Il n'est plus là, je ne vois pas pourquoi tu me poses cette question.
- Pour savoir. Il ne faisait sûrement pas ça par pur plaisir.
- S'il te plaît... Ne m'inflige pas plus de cette culpabilité qui m'étouffe.
- Ce n'est pas ta faute .
- Arrête, je t'en prie, gémis-je tandis que mes yeux se mouillaient de nouveau. Je n'aurais jamais dû souhaiter cela. J'ai commis un meurtre !
- Il souffrait, tu n'as fait qu'apaiser sa douleur. Il était malade et tu le sais."
Je ne réprimais plus mes sanglots, recrachant ce que j'avais gardé pour moi au moment où l'irréparable s'était produit.
" Je savais que tu n'avais pas un coeur de pierre. "
Il posa sa main sur la mienne, et je sursautai à ce contact inattendu. Il m'observait avec un air rempli de compassion, et je lui adressai un sourire timide pour tenter de le convaincre que tout irait bien maintenant. Il parut y croire, et sa main reprit sa place initiale.
" Peut-être devrions-nous repartir ? Je me sens de nouveau fort, même si j'ai le ventre vide !"
J'acquiesçai d'un signe de tête, et il m'aida à ma relever. J'observai les alentours, me rendant compte que nous avions encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais à l'horizon, une tache noire se profilait . L'espoir se levait-il enfin ? L'ébauche d'un village, enfin...
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Faut-il se mentir encore ? Pendant combien de temps ? L'ennui, aussi lourd et pesant que le temps qui passe, s'invite à la fête de l'amour. Une vie bien rangée, une maison, des enfants, est-ce vraiment ce dont tu as envie ?
Et si... Et si l'on dépassait la frontière ? Là où le bien et le mal se livrent une lutte acharnée, entre plaisir et interdit.
Ce n'est qu'un jeu. Juste un jeu. Il suffit d'un clic. Un seul.
Mais goûter au fruit défendu a aussi un prix...
Et si... Et si l'on dépassait la frontière ? Là où le bien et le mal se livrent une lutte acharnée, entre plaisir et interdit.
Ce n'est qu'un jeu. Juste un jeu. Il suffit d'un clic. Un seul.
Mais goûter au fruit défendu a aussi un prix...
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"Alors, qu'est-ce qui vous amène ici ?"
Les mains se crispent. Les larmes, infinies, s'écoulent en flots ininterrompus. Illusion. Réalité. Tout se mélange. Les mots s'échappent de mes lèvres, entrecoupés par le salé de mes pleurs.
Qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce que je fais là ?
Les jambes, lourdes. Poitrine plombée. Un trou béant à la place du coeur.
Les larmes. Les larmes. Des vagues et des vagues de larmes.
Le raz-de-marée.
La cuvette des toilettes, le vomi. L'angoisse, électrique. La tension.
La peur. La peur. La peur, lancinante. Ecrasante.
"Vous avez votre carte vitale ? Et votre mutuelle ?"
La main de ma mère se resserre sur la mienne.
Je meurs. Je meurs. Je meurs. Je meurs. Je meurs.
Aidez-moi. Loin, loin dans mon esprit, je hurle. Aidez-moi. Aidez-moi. Aidez-moi.
Je meurs. Putain. Je meurs.
Les couloirs, froids. L'infirmière qui me défonce le bras avec son aiguille de merde. Les médecins qui se succèdent pour me "rassurer".
"Mais vous savez, à mon avis, c'est l'histoire de seulement quelques jours, rien de plus. Vous êtes épuisée, vous voyez bien. Vous ne pouvez pas rester comme ça."
Le regard de ma mère, rougi de larmes.
J'ai peur, Maman. J'ai peur, Maman.
"Je sais...", dit-elle en caressant ma joue.
Je ne suis pas folle. Je ne suis pas folle, hein ?
"T'inquiète pas, t'inquiète pas, ça va aller, hein ? Moi, je ne sais plus quoi faire pour t'aider, tu comprends ? Je voudrais tellement que tu ailles mieux."
Oui.
Au loin, j'entends "décompensation". Oui. Trop accumulé. Trop. Tout est trop.
Tu es fragile. Non. Fragile, fragile, fragile...
Fragile, murmure le vase de porcelaine brisé...
Fragile, murmurent les murs de mon appartement qui ont abrité la lente descente silencieuse, à la rencontre de mes démons. La valse avec mes peurs. J'ai voulu leur faire face. Les laisser me traverser. Les comprendre.
Mais la peur, c'est une énergie qui vient puiser dans mes forces vitales. Grignoter peu à peu les privilèges et l'autonomie que j'avais reconquis et dont j'étais fière d'arborer les victoires.
Fragile. Fragile.
On ne renie pas sa nature.
Je veux m'aimer. Aimer chaque facette, chaque éclat de porcelaine qui s'étale sous mes yeux et qui se sont désolidarisés à coups de "je t'aime moins qu'une autre", "il faut être comme ci, être comme ça", "tu es trop sensible", "trop nostalgique", trop tout. Trop.
Allez vous faire foutre.
Le karma a fait son job. J'ai payé.
Les larmes coulent. Putain mais ça s'arrête quand.
J'effleure le bracelet que l'infirmière m'a attaché au poignet. Je vais mourir entre ces murs.
Je meurs. Je meurs. Je meurs.
On me montre ma chambre. Froide. Vieille. Une cellule de prison aurait sûrement pu être plus confortable. Les murs sont tâchés, et j'aime autant ne pas savoir ce qui les a abîmés.
L'infirmière est enjouée, ouvre la fenêtre.
"Vous verrez, vous serez bien ici."
Le cerveau disjoncte. Et si je pétais un câble ? Et si je décidais de me barrer ?
Et si je perdais la tête ? Je vais devenir dingue. Je le suis.
Je meurs.
"Vous savez, vous êtes ici en hospitalisation libre. Si vous voulez vous sauver, il vous suffit de venir nous trouver. Et vous avez le droit de nous dire que vous ne voulez pas rester."
Je veux pas. Je peux pas rester là.
Il n'y a plus de porte pour fermer les toilettes.
Pas de télé.
La lumière vacille.
Non, je ne veux pas rester là.
Je meurs. Je meurs. Aidez-moi.
Oui, c'est ta faute, mon mental. Toi qui sur-analyse, s'inquiète de tout, imagine tout un tas de scénarios dignes des plus grands films catastrophe hollywoodiens. Mon cerveau vaut de l'or, mon cul.
C'est ta faute si je suis là. Je meurs, je meurs et c'est toi qui me le fait croire.
"Je pense que c'est la meilleure solution, tu sais... Ici, il y a des professionnels qui pourront t'aider mieux que nous. Et puis, c'est temporaire, hein."
Il paraît que j'ai encore maigri. Le noeud dans mon estomac ne disparaît plus.
Il paraît que ça me pendait au nez. Tout le monde le voyait venir, sauf moi.
Et me voilà entre ces murs. Mon regard balaie la pièce. Je vais vraiment rester là ? Combien de temps ?
Est-ce que je vais perdre conscience ? Est-ce que je vais me souvenir de qui je suis ? Et comment je m'appelle ? Pourquoi je suis là ? Dis-moi, pourquoi.
Jim Carrey. J.K. Rowling. Le mec qui a inventé KFC. Je fais défiler les noms de tous ces gens qui en ont chié comme jamais avant d'atteindre le sommet. Je suis peut-être un génie. Ou pas. Je veux juste retrouver la lumière.
Mais je suis plongée dans le noir complet. Aucune issue. Aucune porte de sortie.
Juste moi et cette putain de cellule.
Le matelas est raide.
Je capitule. Oui, je reste. Je n'ai pas le choix. Je meurs.
Je meurs. Aidez-moi.
Je suis seule. On me laisse m'installer. On viendra me montrer le reste du pavillon, tout à l'heure. Mais il faut manger, un peu. Avaler le premier cacheton.
Putain il est sévère celui-là. Je retrouve le plomb qui caractérise les anxiolytiques. Je croise mon reflet dans le miroir de la micro salle de bains, digne d'un roman de Stephen King. La vache.
Les cernes. Les yeux gonflés. La pâleur.
Salut, toi.
Je veux dormir. Mais je me lève pour suivre l'infirmier à la découverte de mon nouvel environnement, les salles télé qui diffusent Harry Potter, ce soir. Un signe, peut-être.
Quelques livres entreposés sur des étagères. Mais je suis trop anesthésiée pour avoir une quelconque envie de les découvrir.
Les douches. Le réfectoire.
Tout est froid, sans vie.
Je meurs.
Je m'engouffre sous les draps, et le cachet m'emporte rapidement dans un sommeil profond où je rêve de tout oublier.
On allume brusquement la lumière. Quelle heure est-il ? Les femmes de ménage font irruption, nettoient brièvement le sol.
"Vous vous lèverez quand ce sera sec."
Je peine à ouvrir les yeux. Je suis plombée. Perdue.
On toque à nouveau.
"Ca va être l'heure du petit-déjeuner, c'est au réfectoire au fond du couloir.
- Je peux prendre une douche, avant ?"
Je me lève mécaniquement, engourdie. Garder contact avec la réalité, à tout prix. Vêtements, produits de beauté. Je ne tomberai pas plus bas. Non.
J'arrive dans la salle pour déjeuner. Je suis seule. Tout le monde est déjà parti. Un bol de café presque froid, un morceau de pain.
Putain. Je meurs. Je suis dans une dimension parallèle.
Je retourne à ma "chambre", tente d'occuper mon esprit par la lecture.
Mais j'attends. J'attends quoi. La lumière.
Celle qui scintille et vacille de la petite bouche d'aération au pied de mon lit. Elle m'hypnotise. Parfois, elle se stabilise. Puis elle tressaille à nouveau. Et je la fixe, vide. Je suis peut-être vraiment tarée.
C'est déjà l'heure du repas. Le réfectoire est plein, cette fois. Le silence.
On me dévisage de la tête aux pieds. Les regards sont curieux. Mais vides. Eteints.
Je m'installe à la place qu'on me désigne. Me contente de quelques morceaux de pain et de fruits. J'observe les gens autour de moi.
Non. Je ne peux pas. Je ne peux pas être comme ça. Je ne peux pas. Où sont leurs lumières ?
Chacun est là, présent physiquement, mais installé dans une bulle imaginaire parée de silence.
Je meurs. Je meurs.
Sortez-moi de là.
Peut-être que c'est ça, ma destinée. Peut-être qu'elle est là, ma place. Au milieu de toutes ces personnes dont les flammes se sont éteintes peu à peu.
La mienne brûle peut-être encore, loin, très loin au fond de l'abîme.
Et j'irai la chercher. Quoi qu'il en coûte.
Il est temps de réparer ce foutu vase. Et de redonner à la porcelaine toute sa splendeur. Je caresse mon bracelet. Toi et moi, on va s'en sortir. Je te le promets.
Je t'aimerai dans le noir, s'il le faut.
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Un rai de lumière filtrait à travers les stores recouverts de poussière, caressant de son éclat rassurant les feuilles rabougries d’un ficus mal-en-point. Nombre d’entre elles avaient déjà valsé sur le sol, au pied des chaises dont l’allure évoquait les sièges d’un cabinet de dentiste arracheur de dents en série, puis relégués à la décharge après la découverte d’un trafic de dents en or.
Il régnait un silence religieux. Une concentration à toute épreuve.
Ne rien oublier.
Se tenir droit. Rajuster sa chemise. Cacher la petite tache de café malencontreusement apparue au cours d’une délicate opération : la réception d’un croissant menaçant d’un saut dans le vide.
Il croisa son regard dans le reflet de la vitre. Il aurait dû choisir une autre couleur de chemise. Le bleu mettait mieux en valeur ses yeux noisette.
Trop tard pour regretter.
Il déposa sa main sur son genou, tentant de masquer les soubresauts nerveux.
Se recentrer. Respirer.
Faire le vide, et s’évader dans un espace mental paisible, serein. Des arbres qui frémissent au souffle du vent, de l’herbe tendre qui se love sous ses pieds et la promesse d’un calme olympien…
Un raclement de gorge brisa soudain son voyage onirique.
La jeune femme au tailleur gris délavé se pencha vers lui.
« Vous aviez rendez-vous à quelle heure, vous ? chuchota-t-elle.
- Je ne sais plus… A vrai dire, je ne me souviens pas qu’il y ait eu une heure d’indiquée.
- Moi non plus ! C’est quand même étrange, vous ne trouvez pas ? »
Sûrement. Tout comme le constat qu’aucune horloge n’était présente sur les murs blancs. Pas un seul cliquetis entêtant d’une aiguille sur le cadran froid, sonnant le glas d’une mort prochaine.
Le néant. Étrange, ou absurde ? Peut-être était-ce un de ces nouveaux rites inventés par des esprits tortueux pour tester les limites du futur heureux élu ?
Il pouvait encore décider de ne pas se soumettre à ces jeux de torture mentale. Se lever silencieusement, quitter cette antichambre funéraire et opter pour la solution du grattage de ticket de loterie dans le bar voisin, misant sur l’espoir d’une prochaine villa avec piscine à débordement, crachant sa splendeur sur les classes moyennes vivotant à ses pieds.
Oui, il en avait encore la possibilité. La porte, si près… S’ouvrit brusquement, laissant apparaître dans son encadrement une silhouette féminine, les cheveux grisonnant élégamment rassemblés en un chignon serré sur la nuque, le regard fixé sur son bloc-notes.
Rajustant la monture de ses lunettes, elle asséna le coup de grâce.
« Monsieur C.? »
Sa chemise lui parut soudain trop serrée. Une contraction de plus, et c’était un bouton en moins.
« Suivez-moi, nous allons vous recevoir. »
Il lui emboîta le pas à travers un dédale de couloirs ternes, aux portes résolument fermées.
Le bureau dans lequel ils entrèrent dissipa ses doutes : le ticket de loterie semblait une option de plus en plus alléchante.
Derrière la table imposante, une seconde femme le fixait, détaillant son attitude avec l’œil perçant d’un lynx jaugeant sa proie.
« Installez-vous. »
La gorge serrée, il s’efforçait de demeurer impassible.
« Bien, Monsieur C., vous êtes ici parce que nous avons apprécié votre candidature et nous souhaitions en savoir plus sur votre expérience. Je vous propose que nous éclaircissions un peu plus votre compréhension du poste et ce que nous en attendons, et que vous présentiez plus amplement votre parcours. C’est bon pour vous ? »
Il acquiesça d’un bref mouvement de tête.
« Parfait. Alors, pour vous replacer dans le contexte du poste, Clothilde et moi-même recherchons une personne en remplacement de notre collègue, actuellement en arrêt. Elle était responsable du pôle terminal. Comme vous le savez sûrement, nous avons chacune pour mission de régir une partie de la destinée humaine. Chaque être dispose d’un temps donné d’existence, que seule notre collègue connaissait. Elle apposait donc une date définitive sur le dossier représentant la vie des humains, selon des critères bien définis. La personne recrutée sera en charge de la définition de ces dates, au regard de chaque destin tracé. C’est clair pour vous ?
- Euh… Oui, il me semble. »
Le ticket de loto. La villa sur la corniche. Et un labrador. C’est bien, un labrador. C’est affectueux, et il s’en fout de la destinée.
« Donc, vous, Monsieur C. Vous écrivez avoir une bonne expérience en gestion du temps. Je ne vous cache pas qu’il faut également avoir une bonne résistance au stress. Il s’agit de la vie de milliards d’humains, vous comprenez ? »
Il opina.
« Si vous commenciez le poste demain, comment devriez-vous remplir cette mission, Monsieur C. ? »
Se tenir droit. Ne rien laisser paraître.
« Il faudrait bien sûr étudier le parcours de chaque humain, se pencher sur ses actes, ses valeurs…
- Oui, mais comment évalueriez-vous la durée d’existence d’un être lambda ? Quels seraient les critères selon vous ?
- Je dirais que selon le tracé prévu, l’évolution de l’humain est un facteur essentiel. Qu’il ait une vie riche, pleine d’expériences. Bien remplie, en somme.
- D’accord. Pour vous, si la vie est bien remplie, c’est suffisant ?
- Alors non, pas seulement. Je dirais que ce qui compte, c’est comment on définit ce remplissage.
- Donc quelqu’un qui n’a pas vraiment dévié de sa trajectoire, qui n’aura pas vécu beaucoup d’expériences, devra mourir plus tôt ? »
Il bafouilla. Garder son calme.
« Euh, euh non. Bien sûr que non.
- Alors, sur quoi vous baseriez-vous, Monsieur C. ? Y aurait-il un nombre d’années nécessaires ?
- Je ne crois pas qu’il faut raisonner en termes d’années. D’ailleurs, qu’est-ce que ça représente, les années, à l’échelle d’une vie ? Je pense qu’on peut découper la vie selon des sortes de phases, d’apprentissage, de consolidation… Mais pas vraiment avec des années.
- C’est pourtant ce qui vous sera demandé, Monsieur C.
- Oui, j’entends. Mais une personne qui a vécu quarante ans, en ayant voyagé, en ayant rempli son quotidien de divers engagements, activités, aura peut-être proportionnellement le même ressenti qu’une personne qui en aura vécu quatre-vingt, mais qui aura réparti son emploi du temps différemment.
- Et vous définiriez sa date plus rapidement, dans le premier cas ?
- Pas nécessairement.
- Quel est votre rapport au temps, Monsieur C. ?
- Dans une certaine mesure, je dirais qu’il n’existe pas. Étant donné que c’est vous qui en fixez les règles, a priori.
- Nous n’en fixons pas les règles. Nous appliquons un système qui permet d’organiser la vie. Vous imagineriez un monde dans lequel tout le monde serait éternel ? Quel beau bazar, vous ne trouvez pas ?
- Parce que vous ne l’êtes pas, éternelles ? »
Les deux femmes affichèrent un air interloqué. Il avait relevé un point sensible. Après tout, vues les conditions du poste, il pouvait se permettre une petite provocation ou deux. De toute manière, dans le pire des cas, il lui restait l’option du milliardaire providentiel.
« Eh bien, reprit Clothilde, nous sommes là depuis la Création, oui, c’est vrai. Mais nous sommes un peu les arbitres du système, voyez-vous. Nous en connaissons les rouages, et pour le bien de l’espèce humaine, notre rôle est essentiel pour réguler la population. C’est une situation inédite pour nous, de rechercher un remplaçant. Si notre collègue n’avait pas craqué avec ce terrible burn-out…
- Clothilde ! »
La concernée rougit.
« Mais… C’est vrai, enfin. Je veux dire, avec tous ces humains détraqués qui cherchent à aller toujours plus vite… Elle est partie en vrille. »
Sa collègue lui jeta un regard noir.
« Hum, reprit-elle. Oui, donc vous avez un aperçu plus pointu de la situation. Je vous prierai d’être discret là-dessus, Monsieur C. C’est en effet un incident regrettable. Évidemment, vous serez tenu au secret professionnel si vous êtes choisi pour le poste. Reprenons, voulez-vous ? Avez-vous des exigences ou des questions à nous partager, Monsieur C. ? »
Oui, une villa avec un labrador. Et une salle de cinéma privée.
« Le poste peut-il évoluer ?
- Se stabiliser, vous voulez dire ?
-… Ou engendrer une création de poste, par exemple.
- Eh bien, comme vous l’avez compris, nous ne sommes pas en mesure de vous indiquer le retour de notre collègue. Nous lui espérons un prompt rétablissement, vous l’imaginez, mais nous ne savons pas s’il nous sera possible de vous garder après son retour... »
Clothilde se tourna vers sa voisine.
« Si, attends… Il y aurait bien quelque chose à proposer, tu ne crois pas ? Le stagiaire qui est en charge de l’environnement…
- Ah, oui. C’est vrai qu’il nous a provoqué un bazar, celui-là. Mais il nous faudra une personne de confiance à ce poste, et en attendant, c’est seulement le remplacement qui vous est proposé, Monsieur C.
- C’est noté.
- Bien. Si vous n’avez pas d’autres questions, je suggère que nous en restions là pour le moment. Nous organiserons probablement un second entretien pour départager les candidats. Tenez-vous disponible, si c’est le cas.
- Entendu. Merci de m’avoir reçu. »
Il sentit enfin ses muscles se relâcher. Pourvu que le bouton de sa chemise n’en fasse pas autant.
« Je vous raccompagne. »
Ils quittèrent la pièce, laissant derrière eux Clothide, perdue dans ce qui semblait être une intense réflexion. Ils regagnèrent la salle d’attente, d’où jaillit un curieux personnage, affublé d’une veste chatoyante et tenant fermement une montre à gousset dans sa main.
« Oh, je suis en retard ! Tellement en retard, en retard ! »
Peu de chance qu’il passe la première étape de recrutement, celui-ci. L’air dépassé, la responsable se retourna pour lui adresser un dernier mot :
« Je vous souhaite une belle continuation, et peut-être à bientôt, Monsieur…
- Chronos, Madame. Je m’appelle Chronos. »
Elle lui sourit poliment, puis fit signe à la jeune femme au tailleur gris. Il sortit enfin, considéra un instant le bar et sa promesse de ticket gagnant. Puis se ravisa. Il opta plutôt pour une promenade en forêt, pour se délecter de sa fraîcheur revigorante et de son herbe tendre.
Après tout, il avait le temps.
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« Ça y est, t’es réveillé ! On a fait un gros dodo, la Belle au Bois Dormant, hein ? Tu m’en veux pas, je te roulerai pas de galoche pour que tu hisses le drapeau comme d’habitude. »
Une paire de loches, énorme. Encastrés dans une robe trop étroite pour les retenir décemment. Un visage peinturluré au fond de teint plus cher qu’un lave-linge.
Et un regard perçant, éclairé par une émotion qu’il ne lui connaissait pas.
« Oui, c’est ça. Ouvre tes p’tits yeux, salopard. »
Envie de vomir. Le sol… n’est pas droit. Non. Mal. A la tête. Aux jambes. Partout.
« Regarde-moi, sale porc. Tu me reconnais ?! »
Cligner des yeux. Les paupières, lourdes. Tellement. Son corps ondule, fait balancer ses seins sous son nez, douloureux lui aussi.
Une bourrasque d’eau le fit sursauter. Les lèvres rouge sang de la femme s’étirèrent en un sourire diabolique, dévoilèrent une rangée de dents trop blanches pour être naturelles. Sa large gorge déploya un rire tonitruant devant son visage trempé.
« Ça rafraîchit drôlement les idées, hein ?! A croire que même l’Univers te gerbe dessus. »
Essayer de se redresser. Les membres sont ankylosés, presque paralysés. Les membres sont trop ankylosés, presque paralysés. D’où lui vient cette douleur atroce ? L’esprit embrumé tenta de discerner les contours de la pièce. Petite, remplie de meubles en bois vernis, sertie de fenêtres aux angles arrondis. Certaines semblaient être des hublots.
Un bateau.
La femme aux formes généreuses s’écarta, laissa tomber ses fesses sur le petit fauteuil en pin dans le coin de la salle.
« Bon, maintenant que tu m’écoutes et que tu me vois bien, on va parler, toi et moi. »
Elle se pencha vers lui, sa poitrine provoquante pointant ses mamelons galbés dans sa direction. Son cerveau avait beau patauger dans le brouillard le plus complet, il gardait toutefois la capacité d’imaginer le velouté de sa peau et la promesse torride qu’elle agitait sous son regard perdu.
« J’aurais pu te pardonner. J’aurais pu, tu sais. J’suis pas une fille née de la dernière pluie. Je sais bien qu’on vous suffit jamais. »
Peut-être avait-il déjà pu satisfaire son désir auparavant ?
« Mais de là à le vivre… Tu m’as fait du mal, hein. Tu m’as défoncée. Mais pas comme autrefois, pas en deux minutes sur la banquette arrière de ta bagnole de gros riche de merde, pas en deux secondes de coups de langue et puis s’en va. Tu m’as défoncée, et sans lubrifiant pour mon petit cœur. T’en n’avais rien à foutre. »
Elle dégagea une mèche rousse de son visage baigné d’une lueur triste.
« J’étais qui pour toi, hein ? »
Il lui sembla devinerdevina une larme glissant sur sa joue.
« J’étais qui ? Une de ces putes que t’as trouvées au bord de la route, rien de plus. J’aurais dû me méfier… J’aurais dû. »
Elle se leva brusquement.
Le saisit par le col de sa chemise blanche, encore humide et parsemée de taches s’apparentant à. Probablement du vomi.
« J’ETAIS QUI POUR TOI, PUTAIN ?! »
Ses yeux verts inquisiteurs se plantèrent dans les siens, à la recherche du coupable idéal.. Il parvenait à humer le souffle chaud qui s’échappait de ses lèvres pulpeuses. Il s’en dégageait un arôme de vanille, délicieuse et envoûtante. Haut-le-cœur. Ses organes lui rappelèrent soudain l’état de sa situation, dont il peinait à dérouler l’historique.à l’historique encore douteuse.
Il tenta d’émettre un son, mais sa bouche était encore scellée par une incompréhensible paralysie.
« Regarde-toi maintenant, connard, crevant dans ta propre merde. »
Elle le relâcha, regagna son trône. Croisa ses jambes laiteuses.
« T’es beau comme ça, tiens. Aussi beau que la première fois où je t’ai rencontré. Tu te souviens ? Y avait du monde, à ce cocktail. Plein de mecs aussi pourris que toi qui voulaient me la mettre profond. Mais c’est toi qui m’as baisée, avec ton regard ravageur et ton brushing de pété de thunes. Tu sais, ce brushing qui ne laisse rien dépasser. »
Elle rit à nouveau.
« Et là, t’es comme ça, tout moche, tout con. Tout sale. Aussi sale que tes pattes que je t’ai laissé poser sur mon corps, aussi sale que les messages que tu adressais à ta femme, alors que j’étais à quatre pattes avec ta queue entre mes cuisses. Aussi sale que la vermine que tu es. »
Elle se détourna, saisit un objet sur l’étagère à côté d’elle. Une bouteille. Un magnum de champagne.
Elle agita la bouteille devant ses yeux.
« Et ça, hein ? Une de moins dans ta cave prestigieuse que tu n’ouvrais que pour en mettre plein la vue à tes connards d’investisseurs, ou à tes enfoirés de copains qui valent pas mieux que toi. »
Elle marqua une pause pour boire une gorgée, directement au goulot. Elle vacilla, éructa bruyamment. Se laissa choir sur le fauteuil.
« Regarde ce que t’as fait de moi. Regarde. »
Son maquillage avait fondu en larmes noires sur ses joues. Ses longs cheveux bouclés en bataille encadraient un visage clownesque. Sa beauté tragique ne se résumait guère qu’à la rondeur de ses seins et de ses hanches, qu’il avait dû meurtrir à loisir.
« J’aurais dû écouter ma mère… J’aurais dû, sanglotait-elle. J’avais l’avenir devant moi, tu comprends ? Je voulais être astronome, moi. Je voulais tutoyer les étoiles. J’aurais pu avoir un destin grandiose, être admirée ! »
Le bateau tangua à nouveau. Il s’affala un peu plus sur le sol, en proie au vertige. Etait-ce le jour, la nuit ? Comment le dire : il parvenait à peine à distinguer les contours des meubles environnants. Il déduisit toutefois que le bateau devait comporter d’autres espaces comme celui-ci, clinquants et imposants. Il nota pourtant une question qui lui traversa l’esprit : qui dirigeait ce bateau ? A en juger par l’état de la pièce, ils se trouvaient au poste de pilotage, là où quelqu’un aurait dû tenir la barre. Ou s’assurer que la trajectoire suivie était la bonne.
Or, ils étaient seuls.
Possiblement en pleine mer.
Sans aide à l’horizon.
Mais sur un navire comme celui-ci, plus proche du yacht que de la chaloupe, il devait y avoir un équipage. Du personnel. Des gens qui devraient s’inquiéter de la situation.
Rien.
Pas âme qui vive autre que les leurs, engoncées dans un méli-mélo dramatique. Il tenta un mouvement, léger, redressant péniblement son dos sur la paroi derrière lui. Le petit cri de douleur qui en résulta lui indiqua, non sans une certaine forme de soulagement, que sa bouche était encore douée de sons et de paroles.
Face à lui, sa prétendue maîtresse continuait de sangloter, le visage dans ses mains manucurées.
« J’aimais… Les étoiles. La nuit. Le parfum des rêves quand ils s’élèvent dans les nuages… J’aurais pu réussir, oui. »
Elle leva les yeux, le fixa avec une lueur mêlée de désespoir et de haine.
« J’aurais pu ET TU M’AS SALIE ! »
Elle se dirigea brusquement vers lui, renversant au passage le siège sur lequel elle s’était installée.
« TU M’AS SALIE ! BRISEE ! COMME TOUTES LES AUTRES PUTAINS QUI SONT PASSEES DANS TON LIT ! »
Il avait désormais en face de lui une tigresse enragée, une lionne trop longtemps maintenue en cage, qui avait fait exploser la porte de sa prison et s’apprêtait à dévorer le geôlier. Ses traits étaient rougis de haine, son visage déformé par la laideur de la violence réprimée.
« TU M’AS SALIE ET MAINTENANT TU VAS CREVER ! »
Elle attrapa la bouteille qu’elle avait vidé quelques instants auparavant, et la leva dans sa direction. Il tenta de se protéger mais ses muscles persistaient dans leur immobilité. Elle se rapprocha, prête à porter le coup. Il implorait son corps de se réveiller, de bouger, de s’extraire de sa ligne de mire.
Elle tituba sous l’effet de la houle et s’effondra contre lui, perdant la bouteille qui éclata sur le sol.
Il n’osait plus respirer. Il pouvait à présent sentir le poids de sa poitrine se pressant sur la sienne, la chaleur moite de sa peau. Et l’alcool, dont elle avait apparemment abusé au cours des dernières heures.
Le visage au creux de son cou, elle caressait sa joue, entre deux vagues de larmes.
« Mon doux, mon doux… Regarde ce que tu as fait. Je prendrai soin de toi. Moi je t’aimerai jusqu’au bout. De toute façon, il ne te reste que moi. Toi et moi sur ce petit bateau. Il est confortable, tu ne trouves pas ? Nous pourrions vivre comme ça, éternellement. Il n’y aurait plus jamais de filles entre nous. Plus jamais. Que toi et moi. On pourra… Repartir de zéro. »
Elle se dégagea pour plonger son regard dans le sien.
« Tu n’as plus que moi. Je serai ton radeau. Ta bouée de sauvetage. Tu as tout perdu. »
Elle répéta à nouveau.
« Tu as tout perdu. Ta femme, ton entreprise, ton compte en banque. Tu n’as plus rien. Demain, la banque saisira ta maison, tes voitures de course qui bousillent la couche d’ozone, ta piscine à débordement avec vue sur la baie. Elle fermera toutes tes épargnes, toutes celles que tu as accumulées sur le dos des autres, ceux que tu traitais comme des chiens. Elle donnera une chance à ta femme de trouver un meilleur homme que toi, bien mieux au lit et avec un plus gros PEL. »
Elle marqua une pause.
« Mais moi, je serai là. Je ne t’abandonnerai jamais, tu sais. Jamais. Je t’aime tellement que j’ai fait en sorte qu’on ne soit plus que tous les deux sur ce bateau. Pour mieux veiller sur toi. »
Elle se lova contre lui, déposant sa tête sur son épaule.
« Je suis pas une méchante, moi. Je voulais juste qu’on soit tranquille, un peu, toi et moi. Loin des gens, loin du monde. Tu veux savoir comment j’ai fait ? »
Elle se redressa, affichant une mine surexcitée, presque enfantine.
« C’est une idée de génie, tu verras ! Tu ne t’es rendu compte de rien, c’est fou ! Tu te souviens de la bouillabaisse de ce midi, celle que tu as fait venir spécialement du chef que tu aimes tant à Marseille ? »
Il suppliait sa mémoire de lui rendre ses souvenirs.
« Tu étais si heureux, tu voulais fêter ton nouvel investisseur. Tu te sentais à l’abri de tout. Tu voulais me faire goûter la « bouillabaise ». Tu m’avais promis une journée de rêve, avec autant d’orgasmes que je le désirais. Mais moi, je savais. Je savais que tu t’en étais tapé une autre, ce matin-même. Une de plus à ton tableau de chasse, hein ? »
Ses doigts entouraient son visage, ses lèvres n’étaient plus qu’à quelques millimètres des siennes. Malgré lui, il sentait une bosse involontaire se former au niveau de son entrejambe.
« Je peux te pardonner. Je peux tout, pour toi. Mais je voulais que tu comprennes. Alors… J’ai assaisonné ta bouillabaise, avec des épices… Un peu spéciales. Mais je crois que j’ai eu la main un peu lourde. Carl ne s’est pas réveillé. »
Elle éclata de rire.
« C’est dommage, parce que je ne sais pas conduire un bateau, moi ! »
Un frisson glacé parcourut son échine. Elle reprit un ton sérieux.
« Mais je peux apprendre. Avec toi, je peux apprendre. Et tu peux te remettre. Je suis sûre que tu peux. Hein, dis que tu peux. Dis. DIS-LE ! »
La maîtresse trahie se releva, le domina de toute la hauteur de ses Louboutin.
« DIS-LE, CONNARD. »
Un choc assourdissant fit soudain vibrer les parois, projeta la femme en avant. Sa tête heurta violemment un hublot et son corps s’effondra lentement sur le sol, inanimé.
Sous la terreur, son cerveau lui sembla sur le point d’exploser. Il eut le temps de jeter un dernier regard sur les formes charnues de celle qui avait partagé sa couche clandestine.
Puis perdit connaissance.
« Paul, Paul, tu m’entends ?! »
Il ouvrit les yeux, surpris de la sensation du goudron chaud dans son dos. Une femme, blonde, était penchée sur lui, visiblement inquiète.
« Paul, ça va ?
- O-oui, bégaya-t-il. »
La femme et un inconnu derrière lui l’aidèrent à se redresser. Il détailla son environnement, péniblement. Il était assis à côté d’une table. Autour de lui, plusieurs personnes le fixaient, transis de suspense et d’effroi.
« Mon chéri, tu vas bien ?
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Tu étais là, on était bien. On est en vacances, tu te souviens ? Tu voulais fêter ta promotion que tu as eue au bureau, tu te rappelles ? Le meilleur vendeur de ton agence ! Et tu as eu un malaise terrible, quand tu as vu le prix de la bouillabaisse… Mon pauvre chéri. »
Paul se souvint. Tout le reste n’était que rêve, oui, tout n’était que rêve.
Il se leva enfin, rassura l’inconnu qui lui tenait encore le bras. Il remercia sa femme d’être si prévenante. Elle tint à lui offrir la bouillabaisse. Elle pouvait bien lui faire plaisir, après tout.
Il s’en délecta, mais ne put s’empêcher de lui trouver un arrière-goût étrange. Il contempla la vue paradisiaque qu’offrait la terrasse du restaurant, encore pétri par ce songe qu’il espérait oublier le jour suivant. Pourquoi vouloir tant d’argent, s’il apporte tant de malheur ? Il pourrait bien se contenter des plaisirs simples. Il arrêterait de jouer au Loto chaque semaine. Sa vie lui convenait, un point c’est tout.
Derrière la palissade de la terrasse, une jeune femme rousse s’arrêta à sa hauteur, lui sourit. Puis fit claquer ses Louboutin sur le pavé brûlant, pointés vers le soleil couchant.
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Léo, Léo...
Léo.
Le silence, seul. Le parking, désert. La nuit, glaciale. Les quelques lampadaires éclairent le vide d'un centre commercial inanimé.
La voiture, elle aussi, plongée dans l'obscurité et le néant. Ses yeux sont fixes.
Léo.
Où es-tu ?
Léo. Léo. Léo.
Son nom tambourine dans sa poitrine.
Pourquoi.
Si près, si près du but... Pourquoi.
Ses mains se crispent sur le volant. Pourquoi.
Putain qu'est-ce que je fous là. Putain qu'est-ce que je fous là, en pleine nuit.
Elle l'a rêvé. Il aurait dû être là, à l'attendre. Il aurait dû. Où est sa voiture ?
Le néant.
Où est-il ? Bien au chaud, quelque part où elle ne sera jamais.
Et où suis-je, moi ?
Léo !
Où sont tes mains, où est ton regard pénétrant ? Où sont tes mots ? Où sont tes messages, où sont nos appels volés ?
Où est passée ma putain de vie ?! OU, PUTAIN DE MERDE.
Elle a été trop conne. Elle a tout cru, encore. Tout. Elle l'a rêvé, désiré, caressé du bout de sa cervelle irradiée d'illusions. Et elle s'est jetée dans le vide, abandonnant tout filet de sécurité.
Méfie-toi. Quelqu'un qui fait ça une fois, il le répètera. Il n'est pas bon pour toi. Il te détruira.
Je te détruirai. Je suis toxique pour toi. Il m'en faut plus, tu comprends ? Tu n'es pas assez solide. Tu ne me tiendras pas assez tête. Je te détruirai. Je ne suis pas stable. Pas stable. Pas stable. Pas stable...
Les mots hurlent en boucle dans la mémoire. Pas stable.
C'est juste une histoire banale. De celles qu'on voit partout, de celles qu'on lit sur toutes les lèvres. Celles qui scellent des lignées familiales, qui renvoient au secret de la tombe les frasques d'un amour, d'une liaison interdite.
De sentiments tenus dans l'ombre, bien au chaud dans une mémoire inquiète. Soucieuse des conventions, du qu'en dira-t-on, d'une pression sociétale, générationnelle. Ou du poids d'une épouse qu'on doit tenir écartée des affres de son mari, pour son bien, pour celui de ses enfants. De leurs tourments naissent parfois des rejetons, uniques vestiges et preuves d'un fruit défendu consommé, qui devront traîner toute une vie le boulet d'une danse de l'ombre, de quelques moments passionnés volés à un quotidien enfermant.
Ou de quelques heures passées à l'arrière d'une voiture, sur un parking désert.
Léo.
Les larmes inondent ses joues. Pourtant, plus rien ne résonne à l'intérieur. La douleur, indicible, a franchi le cap de l'insensibilité.
La nuit. Le silence. Le vide.
Léo.
LEO !
La colère. Les poings sur le volant. Les cris. Enfoiré, enfoiré, ENFOIRE !
Je t'aimais, putain.
Je t'aimais.
Mais c'est juste... Une histoire banale.
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Vous êtes arrivé à la fin