C’est la nuit. Je termine enfin le boulot. Ce n’était peut-être pas une si bonne idée de travailler en temps partiel après les cours… Tant pis. Ça me permet de me faire de l’argent et de voir du monde, il y en a tellement dans ce bar. Cela fait déjà six mois que je travaille chez eux, je suis déjà à la moitié de mon contrat, j’espère qu’ils me le renouvelleront pour l’année prochaine.
Un frisson me parcourt : il fait froid, c’est affolant ! Je resserre mon écharpe autour du cou et continue ma route sous les lampadaires. La vie est tellement plus calme et agréable le soir : les jeux de lumières dans la nuit, l’apaisement du bruit de la vie… Ce n’est pas si mal que de sortir si tard du travail.
Un nouveau frisson me parcourt, non pas un dû au froid, mais à un mauvais pressentiment : je me sens observée. Je continue à avancer comme si de rien n’était. Au bout de quelques mètres, un homme apparaît devant moi, me bloquant le passage dans la rue encombrée des poubelles des commerçants. Je n’ai pas besoin de me retourner pour sentir la présence d’une autre personne derrière moi. L’homme qui me barre le chemin m’indique de la main une étroite impasse. Je n’ai pas d’autres choix que de m’y engager. Je soupire intérieurement : va falloir que je me batte… ça faisait longtemps.
J’avance doucement, les hommes dans mon dos, et arrive enfin au bout de l’impasse. Je me retourne. La personne qui était derrière moi, un homme d’une vingtaine d’années, prend la parole :
« Portefeuille et objets de valeurs, exige-t-il.
_ Je n’ai rien de tout ça, désolée. Je sors du travail, je n’en ai pas l’utilité là-haut. »
Je vois son visage devenir cramoisi… son poing va arriver. Je l’attends fermement. L’homme se décide enfin : il m’envoie un uppercut gauche, dirigé vers mon menton qu’il ne rencontrera jamais car aisément évité. De ma position, je me rapproche de lui et riposte avec un crochet au corps. Je fais mouche, il s’effondre au sol, le souffle coupé. Son acolyte se jette alors sur moi. Je le repousse de tout mon poids contre le mur de l’impasse, m’écarte de lui et lui assène un magnifique coup de pied de côté au menton avant d’en enchaîner un autre dans ses parties. Il tombe au sol. L’autre essaie de se relever. J’agrippe ses cheveux et frappe sa tête au sol. Il s’évanouit. J’ai gagné.
Je me recoiffe et me rhabille vivement puis quitte la ruelle.
Ah… ça fait du bien de se battre parfois. Surtout que j’ai dû attendre un moment avant de les frapper : cela faisait presque un mois que ces mecs me surveillaient ! Et voilà, légitime défense, ils n’auront rien à me reprocher.
Bon, direction la maison : frapper ça fait suer, vivement la douche !
Journal.
Rentrée. Douchée. Couchée. Vérifié mon répondeur, toujours le même numéro, toujours le même message, à croire que je le connais… faudrait peut-être que je lui réponde un jour. Rien que pour lui dire qu’il se trompe de numéro depuis bientôt un an. Demain. Promis, demain je réponds. Il appelle toujours à la même heure, 23h31, faut juste que j’arrive à être là, faut juste qu’aucun con ne me fasse chier… Bon, aller, au dodo !
Je me réveille en sursaut. J’ai rêvé de cet homme, celui dont je ne connais que la voix, cette voix qui répète chaque jour la même chose au téléphone : « Salut ! C’est encore moi... Je te laisse ce message pour te demander de me rappeler, c’est urgent. Dans tous les cas, j’espère que tu vas bien. Rappelle-moi dès que tu peux… Je t’aime... » suivi des trois même bip sonores.
Je sors de mes pensées, éloignant le souvenir du rêve. Je me lève et me prépare tranquillement pour aller en cours.
Toujours aussi ennuyant ces journées d’école… Je suis assise seule sur un banc dehors, faisant consciencieusement mes devoirs avant d’aller travailler. J’ai passé la même journée qu’hier, qu’avant-hier… assise sur ma chaise toute la journée à écouter et prendre en notes des professeurs déblatérer sur tout et n’importe quoi. Ils sont épuisants. Ils arriveront à me tuer un jour.
Je termine mes exercices de mathématiques et range mes affaires. J’étire mes muscles endoloris. Direction le boulot. Je me prépare mentalement pour la soirée. Dès que je me sens prête, je me lève du banc et me dirige vers ma prison du soir.
Lorsque j’arrive au bar, il y a déjà des clients, buvant, sur le point de partir ou attendant d’être servis. Je les salue et vais me poster derrière le comptoir, prenant le relais de mon collègue.
Ma soirée se passe comme celle d’hier, comme celle d’avant-hier… Rien de change.
Mon travail fini, je rentre, me lave, mange un morceau, puis vais me coucher. Alors que je m’apprête à m’endormir, le téléphone sonne : il est 23h31. C’est l’heure fatidique.
Je me lève de mon lit, me rapproche du téléphone et après quelques hésitations, décroche. Un bip sonore me répond : j’ai agi trop tard… ça doit être le destin.
Tant pis, on réessayera demain.
Journal.
Trop fatiguée pour écrire… à demain.